Les Soleils des indépendances paraît en 1968, c'est-à-dire huit ans après que les pays d'Afrique francophone, au nombre desquels la Côte d'Ivoire, ont accédé à l'indépendance et à l'autonomie. Il faut se souvenir que la conférence internationale de Berlin, organisée par l'Allemagne et la France de novembre 1884 à février 1885 a consacré les règles du partage colonial en Afrique. Cette conférence édicté deux règles générales. La première proclame la liberté de navigation sur le Niger et le Congo et la liberté de commerce dans le bassin du Congo ; la seconde dit que chacune des puissances présentes peut revendiquer l'annexion de territoires occupés en reculant indéfiniment ses frontières jusqu'à ce qu'elles rencontrent une zone d'influence européenne voisine. C'est ainsi que les puissances d'Europe réunies à Berlin en 1898 ont dépecé l'Afrique et s'en sont réparti de grands quartiers, la France occupant le Maghreb, l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Ouest. Après la Seconde Guerre mondiale, face aux exactions coloniales qui s'exacerbent, les élites noires africaines dénoncent l'arbitraire de la colonisation et militent aux côtés des hommes politiques pour l'indépendance du continent. Aussi, lorsqu'en 1960, tous les États de l'Afrique francophone accèdent à l'indépendance, c'est avec beaucoup d'espoir que ces élites envisagent l'avenir. Attitude légitime car les rênes du pouvoir ayant échu dans les mains des fils du Continent, elles s'attendaient à ce que ceux-ci travaillent pour bâtir un monde meilleur, dans prospérité et la liberté retrouvées. Beaucoup d'écrivains et d'intellectuels africains pensaient en effet que les indépendances seraient l'occasion d'un nouvel âge d'or mais rapidement survient la désillusion : les peuples africains commencent à déchanter ; les nouveaux dirigeants qui se sont substitués aux colonisateurs, pillent les ressources et martyrisent leurs concitoyens. Rien de nouveau sous le soleil d'Afrique comme le disait Hérodote, le colon français parti, le Noir a pris sa place et la spoliation des peuples se poursuit.
C'est donc dans ce contexte où les lueurs d'espoir s'estompent pour faire place aux leurres des indépendances que paraît Les soleils des Indépendances. Ce premier ouvrage d'Ahmadou Kourouma ouvre par conséquent un nouveau courant dans la littérature africaine, celui du désenchantement. Et c'est à juste titre que Jacques Chevrier considère Les Soleils des Indépendances comme «le premier roman africain du désenchantement» [Chevrier, 1980 : 112] c'est-à-dire le premier à décrire la désillusion née des indépendances, à révéler les injustices, les inégalités instaurées par les nouveaux dirigeants et à peindre la grande misère dans laquelle vivent les petites gens. Alors que les poètes de la Négritude magnifiaient les valeurs culturelles africaines et que les romanciers comme Sembène Ousmane, Mongo Béti et Ferdinand Oyono dénonçaient la colonisation et appelaient à la libération du continent, ce roman est le premier à instruire le procès de l'Afrique indépendante. D'où le malentendu qui a entouré sa parution parce que les élites africaines pensaient que Kourouma apportait de l'eau au moulin des racistes et des anciens colons qui répétaient à l'envi que les Africains étaient incapables de se prendre en charge.
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